Une saison pour les ombres – R.J. Ellory

« On est tous brisés, quoique chacun à un endroit différent. »

Note : 4 sur 5.
En librairie depuis le 5 janvier 2023 chez Sonatine – 408 pages, 25€

4ème de couverture :

Nord-est du Canada, 1972. Dans cette région glaciale, balayée par les vents, où l’hiver dure huit mois, la petite communauté de Jasperville survit grâce au travail dans les mines d’acier. Les conditions de vie y sont difficiles. Au-delà du village, il n’y a rien. Juste une nature hostile, quelques ours, des loups. Aussi quand le corps d’une adolescente du village est découvert aux abords de la forêt, la gravité des blessures laisse supposer qu’elle a été victime d’une bête sauvage. Ce sera en tout cas la version officielle. Et tout le monde prie pour qu’elle soit vraie. Mais, quelques temps plus tard, le corps d’une autre jeune fille est retrouvé.
Montréal, 2011. Le passé que Jack Deveraux croyait avoir laissé derrière lui le frappe de plein fouet lorsqu’il reçoit un appel de Jasperville. Son jeune frère, Calvis, est en garde-à-vue pour tentative de meurtre. De retour sur les lieux de cette enfance, qu’il a tout fait pour oublier, Jack découvre qu’au fil des années, l’assassin a continué à frapper. L’aîné des Deveraux comprend alors que la seule façon de mettre fin à cette histoire tragique est de se répondre à certaines questions, parfois très personnelles. Mais beaucoup, à Jasperville, préfèrent voir durer le mensonge qu’affronter la vérité.

Ce que j’en ai pensé :

Ouvrir un R.J. Ellory c’est à chaque fois un grand moment pour moi. Maitre de la littérature noire à mes yeux, je sais que dans la grande majorité des cas, je vais faire connaissance avec des personnages forts, complexes, parfaitement bien construits et avec une ambiance, une atmosphère lourde, pesante, omniprésente qui tient une place à part entière dans l’intrigue. Avec Une saison pour les ombres, ça n’a pas manqué. Ce qui m’a le plus marqué au-delà de la noirceur de l’histoire, c’est le décor. Jasperville, une petite ville créée par CanadaIron est l’exact définition d’une prison à ciel ouvert. Un lieu rude, froid pour ne pas dire glacial, où le soleil ne pointe que rarement le bout de son nez, les températures en été n’excédant jamais 13 ou 14 degrés. Des habitants qui se connaissent tous ou presque puisqu’ils travaillent tous, ou presque, au même endroit. Une fois que le décor est posé, on sent qu’il y aura peu de place pour la lumière, au sens propre comme au sens figuré.

Le récit est construit en double temporalité, le présent bien sûr mais aussi le commencement depuis l’arrivée des Deveraux dans cette bourgade assez inhospitalière. On va assister progressivement, lentement, à la déchéance de cette famille et de bien d’autres. Jasperville semble annihiler tout espoir d’une vie meilleure, emprisonnant les habitants dans un quotidien morose, difficile et sauvage. J’insiste sur cette ville car j’ai réellement eu le sentiment qu’elle était un personnage à part entière dans cette histoire. Elle est celle où tout commence et probablement où tout se termine.

Jack Deveraux a réussi, au prix d’énormes sacrifices, à quitter cet endroit. Pendant 26 ans, il a réussi à se tenir éloigné de ce passé ponctué de nombreuses morts, de folie et de manque d’avenir. Oui, il a tenu, en tout cas en apparence. Parce que sachez une chose : on ne quitte jamais vraiment Jasperville. Lorsqu’il doit revenir, près de 30 ans après pour ce petit frère qu’il avait abandonné, c’est le cœur lourd et la gorge serrée qu’il devra faire face à sa culpabilité. Nous assistons à cette réalité revenue le chercher, à cette vie gâchée par des faux semblants, à ce poison qui ne l’a jamais vraiment quitté. Pour tenter d’obtenir une certaine forme de rédemption, Jack devra prendre sur lui et affronter les démons de sa jeunesse. S’en suit alors une quête de vérité.

Une saison pour les ombres est un roman noir de haut niveau. L’espoir a déserté depuis longtemps et l’ambiance générale apporte un sentiment d’oppression durant toute la lecture. Comme la plupart des romans noirs, atmosphériques, l’intrigue est lente, laissant place aux émotions, entretenant un suspense dense. Si vous cherchez un thriller ou un polar qui bouge, qui secoue par ses actions, ce n’est peut-être pas le livre qu’il vous faut. En revanche si vous cherchez des personnages maniés à la perfection, une histoire sombre, psychologique, mystérieuse et terriblement glaciale, alors c’est pour vous.

R.J. Ellory est un conteur, il sait poser des mots sur un décor puissant, il nous offre une psychologie des personnages crédible, travaillée, complexe. Il n’y a pas de place au manichéisme, tout est une histoire de nuance. Il est assez difficile de trancher en faveur de telle ou telle personne, de telle ou telle action. C’est bien là, toute la complexité de cette histoire. Pour sauver son frère, du moins ce qu’il en reste, Jack va remuer le passé, ce passé qu’il a tenté par tous les moyens d’effacer. Devant les maigres ressources de la police locale, il n’aura d’autre choix que mener sa propre enquête, accompagné des très nombreuses notes de Calvis (son frère) afin de tenter de démêler le vrai du faux et faire enfin éclore une vérité enfouie depuis toujours.

En lisant ces quelques mots, vous avez peut-être l’impression que ce livre est avant tout une enquête, cependant je préfère vous dire que ce n’est pas le cas. Du moins pas vraiment. Jack va effectivement tout mettre en œuvre pour découvrir qui a bien pu tuer ces nombreuses jeunes filles mais cela ne correspond qu’à un tiers du livre. Le reste, c’est l’installation du décor, c’est la mise en place des tenants et des aboutissants, c’est la vue d’ensemble de ce qu’est et était la vie des personnages. Il faut aimer ce genre d’ambiance, je vous l’accorde mais croyez-moi, c’est profond, c’est addictif et en plus, c’est parfaitement de saison. Lorsque la réalité se mélange aux légendes urbaines, cela apporte un côté mystérieux et intrigant. Qui est responsable de ces morts ? Un animal sauvage? Le Wendigo, cette terrifiante créature dévoreuse de chair sortant des légendes amérindiennes? Ou un être humain ?

En bref :

Une saison pour les ombres est un roman à la maitrise parfaite. Je n’ai souffert d’aucune longueur malgré l’absence de rebondissements réguliers. Je sais à quoi m’attendre lorsque je lis un R.J. Ellory et c’est exactement ce que je recherchais. Un livre intense, puissant, riche en émotions qui, insidieusement enferme le lecteur à travers ses pages, ne lui laissant aucune porte de sortie avant le dénouement. Les personnages nous ouvrent les portes de Jasperville, à nous de réussir à en ressortir indemne.

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